Quilles de berger et caselles du Lévézou – Quilhas de pastre et casèlas levesonencas

Quilles, pour leur forme… de berger, pour évoquer certains de leurs constructeurs… et du Lévézou, arête montagneuse qui s’étire du Mont Seigne (commune de Saint-Laurent du Lévézou) au relais de Candadès et au Puèg del Leveson (communes de Montjaux et du Viala-du-Tarn). Pour la commune de Montjaux, elles se concentrent autour du Puèg del Leveson (altitude 1083 mètres) et du Puèg Guilhem (altitude 1043 mètres). Dans les mêmes terroirs, on découvre également quelques caselles dans les anciens parcours de pâturage. Plus bas, dans les châtaigneraies, quelques caselles de schiste subsistent encore mais on ne trouve plus de quilles.

Quilles et caselles du Lévésou sont construites en gneiss, avec la technique de la pierre sèche, sans aucun outil. Les quilles sont le plus souvent dressées sur les points culminants, elles en ponctuent les horizons qu’elles animent de leurs silhouettes si diverses. Certaines sont tombées… de vieillesse mais également, plus radicalement, à la suite de travaux d’épierrage mécaniques récents permis par la puissance de plus en plus grande des engins agricoles et la (re)mise en culture de hautes terres autrefois dédiées à l’élevage. Les caselles, quant à elles, se situent plus volontiers sur les versants exposés au sud. Les quilles et caselles du Lévézou situées dans notre commune ont eu bien plus de chance : elles ont trouvé, presque toutes, des propriétaires attentifs à leur pérennité. Qu’ils en soient remerciés.

Le gneiss du Lévézou : tout un programme de textures et de couleurs…

Chaque quille à sa personnalité. Petites ou grandes, modestes ou majestueuses, pleines, pour la plupart, ou creuse comme celle du sommet du relais de Candadès (ou de la Salassièra), rondes ou carrées. Tremblantes ou bien campées, selon la quantité et la qualité des matériaux toujours trouvés sur place ou selon l’habileté du ou des constructeurs… De l’imagination et des mains de ceux-ci naissent parfois des « quilles châteaux » comme celle érigée sur le dolmen de Canimont (commune de Salles-Curan) … Châteaux en Espagne ?

Les témoignages oraux recueillis permettent de dater la construction de la plupart des quilles que nous pouvons observer encore. Elles sont relativement récentes. Une centaine d’année pour les plus anciennes. N’en existait-il pas auparavant ? Sûrement. Mais leur durée de vie est relativement réduite et on peut imaginer que les plus anciennes, élevées dans des lieux propices, ont pu être relevées, par des générations successives, aux mêmes emplacements.

Contrairement à beaucoup des commentaires évoquant leur utilité, les témoignages oraux recueillis ne font pas mention de constructions permettant aux bergers de mieux surveiller leurs troupeaux… Pauvres bergers qui auraient pu se rompre le cou ou multiplier les crampes à force de rester figés en haut de leur étroite vigie encore plus restreinte que la colonne de Siméon le Stylite ! Pourquoi vouloir à tout prix trouver une utilité matérielle et/ou rationnelle à toute réalisation humaine ? Les témoignages sont quasi unanimes : les bergers qui parfois se regroupaient pour faire ensemble, les « jouves » qui venaient parcourir les landes de genêts, ceux du FEP du Viala-du-Tarn, tous ont réalisé leur quille par jeu, par défi, par plaisir de faire avec les mains dans un horizon infini… là-haut, sur le Lévézou, avec ses douces odeurs de l’été, ses colères d’hiver et ses innombrables couleurs des quatre saisons.

Ce petit patrimoine, fragile, mérite toute notre attention. Que notre intérêt soit ethnographique ou poétique (ou les deux à la fois…), ce petit inventaire informel mériterait sûrement de s’étoffer… Alors, si d’aventure, amis lecteurs, vous connaissez des quilles ou caselles du Lévézou non citées, vous pouvez contribuer à l’enrichir !

Fig. 1 Quille érigée en 1991 sur la crête du Lévézou.

 

Fig. 2 Vue rapprochée. Gros plan sur les marches engagées dans la structure.

 

Fig. 3 Dialogue de sourd ? Qui sait ?

 

Cette quille a été élevée pour fêter de façon originale les 10 ans du Foyer d’Education Populaire (FEP) du Viala-du-Tarn avec l’accord du propriétaire du terrain. Elle a été réalisée le 14 juillet 1991. Commencée dès 5 heures du matin, elle était terminée à 19 heures. Erigée près d’un tas d’épierrement, les matériaux ont donc été trouvés sur place. Elle est assise sur de grandes dalles de gneiss. Pour en assurer une forme parfaite, un long bâton de trois mètres de haut a été planté au centre d’un rond de 2 mètres et une corde, régulièrement enroulée autour du bâton au fur et à mesure de l’élévation de la quille. De longues dalles de gneiss, bien engagées dans la structure, forment des marches régulièrement réparties. Outre qu’elles permettent maintenant d’accéder au haut de la quille, leur fonction première est de servir d’échafaudage « auto-porté », dirait-on maintenant, pour l’accès des constructeurs et des matériaux… Cette quille résiste encore fort bien à ses trente premières années. Elle figure, en photo ou en dessin, dans de nombreuses publications et a même l’honneur de représenter toutes ses congénères sur le site WikipédiA. Elle est donc devenue… malgré elle, un symbole de l’authentique quille du Lévézou. Ce qu’elle est ! Certes les bergers et les bergères ont disparu, remplacés par les clôtures mais elle a bien été bâtie avec les mêmes techniques et dans le même esprit que ses prédécesseures ! Dressée à 1070 mètres d’altitude, elle fait 3,50 m de hauteur et 1,80 m à sa base.

Fig. 4 Quille de section carrée sur la crête du Lévézou. En arrière-plan la vallée du Minier et les avant-causses. Elle a été élevée dans les années 1950 par le père d’André Gaubert et d’autres bergers des environs. La plupart des quilles du secteur sont de sections circulaires. Cette quille démontre, sans-doute, le souci d’originalité et de défi dont ont fait preuve les petits bergers.

 

Fig. 5 La même surveillant, depuis ses 1075 mètres d’altitude, le viaduc de Millau…

 

Fig. 6 Quille construite dans les années 1930 par Hervé Gaubert lors de vacances à Candadès pendant lesquelles il faisait berger. Elle est bâtie au point culminant, à 1083 mètres. Très originale par sa structure qui, là aussi, constitue un vrai défi : elle est en partie creuse à l’intérieur. Heureusement élevée sur le substrat rocheux, et si elle porte fièrement ses 80 ans, elle n’en demeure pas moins très fragile.

 

Fig. 7 Cette petite quille dressée à 1080 mètres sur de magnifiques affleurements de gneiss dominant la région des lacs… et des éoliennes… date des années 1980. Elle est l’œuvre, en plusieurs séances, de « jouves » qui ont expérimenté là leur sens de l’équilibre et de l’esthétique.

 

Fig. 8 Telle Don Quichotte ?

 

Fig. 9 Belle quille assise sur un gros chaos de gneiss… assiégée par une armée de résineux… dans les bois au-dessus de Jonquayrolles. Sa réalisation est très soignée et les blocs de gneiss composant son « escalier hélicoïdal » sont presque tous intacts. A plus de 1000 mètres d’altitude, elle borde un ancien itinéraire qui va de Montjaux jusqu’à la crête du Lévézou.

 

Fig. 10 La même après la coupe des résineux. Merci aux techniciens forestiers et à l’entreprise de bucheronnage d’avoir su l’épargner et lui redonner de l’air !

 

Les caselles sont plus répandues et en tout cas plus connues en domaine calcaire, sur tous les Grands Causses ainsi que les Avants-Causses. Dans la commune de Montjaux on peut voir des caselles élevées en calcaire Hettangien sur le causse de Concoules comme sur celui de Montgisty.

Quoique plus rares, on peut admirer quelques caselles sur le Lévézou, comme les deux que nous décrivons ci-après. Le gneiss se délitant sous l’action de l’érosion en plaques schisteuses facilite la construction.

La particularité des caselles en pierre sèche est l’élaboration de leur voute en encorbellements successifs : à partir d’une certaine hauteur, chaque rangée de pierres déborde légèrement de la rangée précédente vers l’intérieur. Ainsi, petit à petit, la voute se referme sans avoir besoin d’échafaudage ni de charpente. On donne à chacune de ces pierres un pendage vers l’extérieur, renvoyant ainsi les eaux de pluie hors des murs. Une grande lause termine la construction en oblitérant le trou laissé par l’avant dernière rangée.

Les voutes sont recouvertes de grandes lauses formant une couverture étanche, comme sur les autres bâtiments traditionnels du Lévézou. C’est malheureusement ces toitures de lauses qui disparaissent en premier : plus fragiles, plus exposées au rude climat et parfois, hélas, pillées ou emportées pour servir de dallage…

Les caselles sont parfois accompagnées d’aménagements de confort tels des bancs de pierre, à l’extérieur, près de la porte d’entrée ou bien à l’intérieur se transformant parfois en véritables banquettes. On peut y trouver des niches murales permettant de déposer provisions et boissons mais aussi une lampe à huile. Certaines, parmi les plus grandes, comportent parfois un foyer avec conduit pour les fumées : en cas d’absence de conduit, les fumées s’échappent d’entre les pierres, non jointives, de la voute.

On peut voir, parfois, une pierre plate percée d’un trou, fichée dans le parement extérieur, la plupart du temps près de la porte. Cela permettait d’y attacher un animal : chien ou mule par exemple.

Leur statut est très varié : les plus petites, parfois juste assez grandes pour abriter une personne accroupie ou couchée sont des abris temporaires de berger ou de chasseur : un abri juste le temps de laisser passer un orage, une averse, un coup de vent ou la trop grande chaleur… et pourquoi pas de faire une petite sieste réparatrice ! Les plus grandes, comme la deuxième présentée ici, constitue une vraie annexe d’une exploitation agricole : le berger ou le paysan peut s’y abriter avec son petit troupeau, y stocker du fourrage pour ses bêtes surtout lorsque la hauteur sous voute est suffisante pour y aménager un « étage » grâce à de grosses branches faisant office de poutres et des branchages colmatés avec des genêts créant un plancher. Cet aménagement permet en outre au berger d’y dormir, au-dessus des bêtes, profitant ainsi de leur chaleur. Dans ce cas, le berger et son troupeau sont autonomes plusieurs jours, évitant ainsi la montée et la descente journalière vers la ferme.

Rares sont les ouvertures (à part la porte d’entrée) permettant d’ajourer l’intérieur. Notre deuxième caselle présente une petite ouverture qui fait entrer un peu de lumière à « l’étage ».

La caselle près du relais de la Vernhette est probablement celle évoquée dans un terrier (ancien cadastre) de la commune de Castelnau-Pégayrols en 1762 et qui servait de limite seigneuriale entre Montjaux et Castelnau : «  du midy avec les terres de la communauté de Montjaux à une cazelle dite de Pétarelle batie au somet de la montagne, et qui est divisoire des communautés » (source : Marc Vaissière, La montagne du Lévésou, 2009, p. 39).

Fig. 11 Une belle caselle de section carrée près du relais de la Vernhette (photo André et Francette Gaubert).

 

Fig. 12 Caselle, côté nord, dans les bois au-dessus de Jonquayrolles : elle est exceptionnelle par ses dimensions et le volume intérieur ainsi créé.

 

Fig. 13 La même caselle, côté sud, exposé au soleil (avant les plantations de résineux, bien sûr). Remarquer l’entrée mais également un jour pour éclairer la partie supérieure de la caselle.

 

Fig. 14 Cette caselle, située à seulement 800 m d’altitude, dans une ancienne châtaigneraie, associe les schistes trouvés localement et quelques moellons de grès remontés des affleurements sous-jacents. Si nous sommes encore sur les contreforts du Lévézou, nous ne trouvons déjà plus de quilles de berger à ces altitudes. Les quilles de berger étaient réservées aux zones de parcours non boisées d’où l’on pouvait voir et être vu de loin !

 

Quelques éléments bibliographiques :

Yves Blanc (avec de belles photos de Brigitte Cavalerie) : Quilles du Lévézou dans la revue Patrimoni n° 40, septembre-octobre 2012, p. 18-24.

André Fages, Cazelles, Pierres sèches, Les Adralhans, 2000.

Pierre Coste et Pierre Martel, Pierre sèche en Provence, Les Alpes de Lumière 89/90, 1985.

Christian Lassure et Dominique Repérant, Cabanes en pierre sèche de France, Edisud, 2004.

Remerciements :

Merci en particulier à André Gaubert pour les nombreuses informations founies et à lui et sa famille pour l’exemplaire préservation des quilles du relais de Candadès qui sont situées sur leurs terres. A Alain Boudes pour les renseignements sur la quille au-dessus de Jonquayrolles. A Didier Terral pour la caselle en schiste. A Guy Baldet pour son aide et ses nombreux souvenirs. Et à toutes celles et ceux qui ont élevé et/ou entretenu ces si modestes monuments qui nous intriguent tant !

Alain Bernat, Marzials. Sauf mention contraire, les photos sont de l’auteur.

*Les quilles et caselles évoquées dans cet article sont situées dans des propriétés privées. Cet article est, en partie, extrait de celui, plus général, sur les quilles du Lévézou, écrit pour la SARAC (Société Archéologique des Rougiers et des Avant Causse) paru en janvier 2022.