Les empreintes de dinosaures du communal de Montgisty, sur le Causse Rouge

Alain Bernat, archéologue et historien résidant sur la commune vous propose de découvrir le patrimoine de Montjaux au travers d’une série d’articles qui seront publiés sur ce site. Cette fois-ci, il vous propose de partir en balade sur le Causse Rouge à la découverte des empreintes de dinosaures laissées il y a quelques 200 millions d’années.

Le Causse de Montgisty

Le Causse de Montgisty, comme nous, habitants de la commune de Montjaux l’appelons, constitue la partie la plus occidentale du Causse Rouge qui s’étend du nord de la commune de Verrières jusqu’à Candas. Le Causse Rouge est limité à l’est et au sud par le Lumensonesque puis le Tarn. Il est séparé du Lévézou par la vallée de la Muse.

La partie du Causse Rouge comprise dans le territoire de notre commune est composé, près de la limite avec la commune de Castelnau, de calcaires du Sinémurien (de 190 à 199 millions d’années), très riches en fer, qui en se dissolvant sous l’effet de l’érosion ont laissé des argiles rougeâtres qui ont donné le nom de Causse Rouge. Puis, plus au sud-ouest, les strates calcaires qui forment la surface du causse (ainsi que ses falaises) datent de l’Hettangien (de 199 à 201 millions d’années). C’est dans ces strates rocheuses que Jacques Sciau a découvert et étudié des empreintes de dinosaures.

Traces sur le causse de Montgisty
Le Causse de Mongisty. Au premier plan la strate rocheuse découverte par Jacques Sciau, secteur M4. Au fond, les falaises du Larzac (photo Alain Bernat).

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Les recherches de Jacques Sciau

Jacques, passionné de paléontologie et grand amoureux des causses a étudié et publié de très nombreux sites avec empreintes de dinosaures, sur l’ensemble des Grands Causses du Sud-Aveyron (voir en bibliographie Sciau 2021). Son dernier article qu’il a co-écrit avec trois autres paléontologues a été publié par l’Université de Cambridge, Angleterre, dans la revue Geological Magazine et concerne ses dernières découvertes du Causse de Montgisty. Merci à Jacques Sciau qui mène ses recherches avec passion de la partager avec pédagogie et enthousiasme ! Grâce à lui, le patrimoine de la commune s’enrichit d’un site extraordinaire.

 

Jacques Sciau dans les pas des dinosaures
Jacques Sciau dans les pas des dinosaures, secteur M4 (photo Alain Bernat).

 

Jacques a découvert les premières empreintes de ce site en 1988 (M1 et M2 sur le plan ci-dessous). Reprenant ses recherches sur le site de Montgisty, en 2018, il découvre quelques empreintes supplémentaires (M3) et surtout un nombre important de traces très lisibles (M4). Un décapage d’environ 50 m2 lui a permis d’identifier sur ce dernier emplacement plus de 150 empreintes de pieds de dinosaures.

La préservation d’empreintes est déjà un phénomène rare. Il faut que les animaux se soient déplacés dans un sédiment mou et plastique mais pas trop liquide ni trop dur pour que les pas soient conservés en creux (tous ceux qui se sont amusés à marcher sur une plage… ou dans la boue… connaissent bien le principe !). Mais il faut également que cette couche de sédiment ait été rapidement ensevelie par une autre couche, que ces sédiments successifs aient été compressés pour former des roches. Et pour que nous les retrouvions maintenant, quelques 200 millions d’années après le passage des dinosaures, il faut que l’érosion ait fait disparaître toutes les couches supérieures… Autant dire que les chances de préservation et de découvertes d’empreintes de dinosaures ne sont pas bien grandes.

Et pourtant, sur le Causse Rouge, elles sont nombreuses. Au-dessus de Peyre, près de Comprégnac, sur la route de Saint-Léons, etc… (voir en bibliographie les nombreuses publications de Jacques Sciau). Mais ce qui est exceptionnel à Montgisty, sur le site M4, c’est le nombre et la qualité de conservation des empreintes mais surtout qu’elles se soient formées dans un sédiment de roches remaniées (brèche) et déposées par la marée par progradation et surtout qu’elles se soient conservées sur ce type de dépôt. Ce phénomène est unique dans tous les Grands Causses et très rare dans le monde entier.

Jacques Sciau mesurant une empreinte laissée par un dinosaure
Jacques Sciau mesurant une empreinte laissée par un dinosaure carnivore dont certaines atteignent 50 cm de longueur (photo Alain Bernat).

 

Les dinosaures qui ont laissé leurs empreintes sur ce site évoluaient donc dans une zone découverte lors des marées basses et recouverte en marée haute, sur le rivage d’une ancienne étendue lagunaire de bord de mer, marais littoral de la mer des Causses, il y a 200 millions d’années. Ces empreintes ne sont pas toutes contemporaines mais la plupart vont vers le nord. Il devait donc y avoir, pendant un long laps de temps, un obstacle naturel qui obligeait les dinosaures à emprunter le même passage.

 

 

 

 

Plan de répartition des sites à empreintes dans le terrain communal du Causse de Montgisty
Plan de répartition des sites à empreintes dans le terrain communal du Causse de Montgisty. Le principal site aux nombreuses empreintes est M4.

 

L’étude des empreintes et leur attribution à une espèce particulière

Les paléontologues du monde entier coopèrent afin d’étudier les différentes empreintes laissées par les dinosaures. L’étude des couches géologiques, bien datées maintenant, dans lesquelles elles sont conservées permet de dater assez précisément (quand on compte en dizaines voire centaines de millions d’années, on n’est pas à un ou deux millions près… quoique…).

Les paléontologues ont donné des noms à chacune des catégories d’empreintes étudiées et datées. Par exemple, les belles empreintes de la grande dalle de Montgisty sont nommées Eubrontes giganteus (mais aussi pour deux différentes, Grallator lescurei).

 

La grande dalle à empreintes du communal de Mongisty
La grande dalle à empreintes du communal de Mongisty (photo Jacques Sciau).

 

Une fois les empreintes étudiés les paléontologues tentent de les attribuer à telle ou telle espèce de dinosaure, en fonction des caractéristiques physiques déduites des empreintes (taille et forme des empreintes, anatomie du pied de l’animal, poids, vitesse, démarche, force avec laquelle il a appuyé sur le sol). De nombreuses espèces de dinosaures sont de nos jours bien connues grâce aux travaux menés par des scientifiques sur les vestiges fossilisés découverts dans le monde entier.

 

Comparaison de la taille des deux espèces
Megalosaurus / Dilophosaurus Comparaison de la taille des deux espèces par rapport à une silhouette humaine

Les empreintes de dinosaures carnivores

 

Ainsi, les empreintes Eubrontes giganteus peuvent être attribuées à des dinosaures ressemblant probablement à Mégalosaurus (voir dessin ci-dessous) et les empreintes Grallator Lescurei peuvent l’être à des dinosaures ressemblant probablement à Dilophosaurus (voir dessin).

Ces deux espèces sont des dinosaures carnivores. Ils ont vécu il y a environ 200 millions d’années. Ce sont des dinosaures bipèdes qui marchent sur trois doigts de leurs pattes arrière. On parle alors d’empreintes tridactyles. Il est possible de distinguer la patte gauche de la patte droite grâce au nombre de coussinets : 2 coussinets sur le doigt interne et trois sur les doigts centraux et externes. Cette distinction est tout à fait possible sur plusieurs empreintes de la grande dalle de Montgisty, où elles sont incroyablement bien conservées. On peut même, pour certaines de ces empreintes distinguer très nettement la trace des griffes au bout des doigts.

 

Et des empreintes de dinosaures herbivores ?

Jacques Sciau en train de mouler une empreinte,
Jacques Sciau en train de mouler une empreinte, peut-être une main de tétrapode, dinosaure herbivore se déplaçant sur ses quatre pattes (photo Alain Bernat).

Juste en dessous de la grande dalle, une dalle plus ancienne comporte de nombreuses figures de sédimentation, mur cracks, fentes de dessiccation parmi lesquelles quelques structures semblent correspondre à des empreintes de tétrapodes. Les empreintes se chevauchent beaucoup, traces du piétinement de plusieurs animaux, ce qui rend leur interprétation délicate. Il s’agit peut-être d’empreintes de Prosauropodes, dinosaures herbivores se déplaçant sur leurs quatre pattes qui pouvaient ressembler au genre diplodocus, mais en plus petit, et qui vivaient à la même période.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Possibles empreintes de patte arrière et avant d’un Prosauropode
Possibles empreintes de patte arrière et avant d’un Prosauropode (photos Jacques Sciau)

 

 

Dinosaures sans frontières… et Montgisty pays chaud…

Les études statistiques des mesures permettent de rapprocher les empreintes de Montgisty de celles présentes au Connecticut (Etats Unis d’Amérique). Il y a 200 millions d’années, les continents ne ressemblaient pas encore à ce que nous connaissons aujourd’hui. Ils sont issus d’un seul continent unique, la Pangée, ce qui explique que l’on retrouve des espèces de dinosaures identiques sur des continents aujourd’hui séparés par les océans… Et pour ajouter un peu au tournis… ajoutons qu’à l’époque de nos dinosaures, la région des Grands Causses se situait à la latitude actuelle de la Mauritanie… Chaud le bord de la mer des Causses !

 

Projets

Jacques Sciau, toujours entreprenant, a édité une petite brochure sur le site de Montgisty dont nous avons abondamment tiré explications et illustrations (voir en bibliographie Sciau 2021). Jacques a également réalisé la maquette de quatre panneaux explicatifs qu’il propose d’installer sur le site pour faciliter la lecture et la compréhension de tous.

Merci à toutes et tous de respecter et faire respecter les sites à empreintes !

Les sites patrimoniaux conservés dans la pierre peuvent sembler éternels et défier le temps. Mais ils sont aussi très fragiles. Alors, pour qu’ils puissent encore émerveiller nos enfants (y compris les grands enfants que nous redevenons devant ces vestiges de dinosaures) et les générations à venir, prenons-en soin ! Pas de nettoyages intempestifs avec des outils métalliques. Pas de piétinements inutiles. A ces conditions leur avenir sera prolongé  surtout si nous devenons tous leurs gardiens et protecteurs !

 

Bibliographie

Demathieu et Sciau 1992 : Georges Dematieu et Jacques Sciau, Des pistes de dinosaures et de crocodiliens dans les dolomies de l’Hettangien du causse du Larzac. Comptes-rendus de l’Académie des Sciences de Paris, 1992, 315, 1561-6.

Demathieu et Sciau 1990 : Georges Demathieu et Jacques Sciau, De grandes empreintes de pas de dinosaures dans l’hettangien de Peyre (Aveyron, France), Geobios 1990, 32, 609-16.

Demathieu, Gand, Sciau et Freytet 2002 : Georges Demathieu, Georges Gand, Jacques Sciau, Pierre Freytet, Les traces de pas de dinosaures et autres archosaures du Lias inférieur des Grands Causses, Sud de la France, Palaeovertebrata, 2002, 31, 1-143.

Sciau 1992 : Jacques Sciau, Sur la Piste des Dinosaures des Causses, Association des Amis du Musée de Millau, 1992, 32 pages, 8 planches couleur.

Sciau 1993 : Jacques Sciau, Coup d’œil sur les fossiles des Causses II, Association des Amis du Musée de Millau (Aveyron), 1993, 95 pages dont 45 planches.

Sciau 1998 : Jacques Sciau, Dinosaures et reptiles marins des Causses, Association des Amis du Musée de Millau (Aveyron), 1998, 56 pages.

Sciau 2003 : Jacques Sciau, Dans les pas des dinosaures, Inventaire des sites à empreintes, Association des Amis du Musée de Millau, 2003, 107 pages.

Sciau 2012 : Jacques Sciau, Présence des Tétrapodes terrestres dans les Causses, Des amphibiens aux dinosaures. Association Paléontologique des Causses, 2012, 80 pages.

Sciau 2019 : Jacques Sciau, Quelques sites à empreintes de pas de dinosaures connus ou nouveaux, Association paléontologique des Causses, 2019, 57 pages.

Sciau 2021 : Jacques Sciau, Montgisty, commune de Montjaux, Préservations d’empreintes de pas de dinosaures Théropodes dans une brèche de marée datant de 200 Ma., Résumé de l’article signé Jean-David Moreau, Jacques Sciau, Georges Gand et Emmanuel Fara paru en février 2021 dans la revue Geological Magazine, Cambridge, Angleterre, complété de l’environnement paléontologique du site, Association Paléontologique des Causses, 2021, 24 pages.

Sciau, Bécaud et Gand 2006 : Jacques Sciau, Marc Bécaud et Georges Gand, Présence de Dinosaures Théropodes et probablement d’Ornithopodes et de Sauropodes dans le marais maritime du Bajocien-Bathonien des Causses, Association Paléontologique des Causses, 2006, 35 pages.

Crédit illustration Reconstitution de Megalosaurus : County pour Wikipedia sous licence Creative Commons

 

 

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